Paroles de lauréats
Entretien des porteurs du projet « Vilajoa », lauréat du programme Engagés pour la qualité du logement de demain
Quel est votre rôle dans le projet ?

C.G. Charlotte Gaudoin. Avec Charlotte Martin, nous sommes les architectes et avons conçu le projet architectural et accompagné la maîtrise d'ouvrage pour prendre des décisions sur les parti pris « mode d'habiter », constructifs et autres.

J.L. Jérémie Lacour, je suis un des habitants et donc maître d'ouvrage du projet.

C.M. Charlotte Martin, architecte HMONP, présente en conception, j'accompagne également les habitants dans la construction ainsi que la mise en œuvre du projet par les entreprises.

M.G. Maël Gaudy, je suis futur habitant et MOA du projet et en ce moment je m'occupe du lien avec les architectes pendant la phase construction.

C.L. Cécilie Lahaye, future habitante et MOA, actuellement je suis assez active sur la partie auto-construction de notre annexe.

T.P. Thomas Paumier, futur habitant et MOA, je m'occupe d'organiser nos réunions de pilotage, où on est quatre, on se réunit toutes les semaines. Je fais aussi partie de la commission pour l’auto-construction de notre annexe avec Cécilie.

P.M. Pierre Marchessou, futur habitant et MOA, et aujourd'hui dans la commission de pilotage, je suis également en lien avec l'AMO.

A.T. Amel Tébessi, je suis adjointe au maire sur la ville de Le Rheu en charge de la démocratie participative et la communication. Je fais partie du comité de pilotage urbanisme et habitat de la ville.

Pouvez-vous présenter l'opération ?

J.L. L'opération consiste en la construction de cinq logements. Le projet est centré autour d'un jardin potager à une distance cyclable de Rennes, on est sur la première couronne de Rennes, sur la commune du Rheu. Il y a cinq foyers qui ont cinq logements individuels et on fait la part belle aux communs, avec une salle commune, une buanderie partagée, des WC communs, tous les extérieurs sont partagés ainsi qu’un atelier et un garage à vélo également en commun. Il est conséquent puisqu'il y a 50 m² et au moins un vélo par personne. Il y a une trentaine de vélos à stationner au total. Il y a un aussi un bureau partagé entre deux foyers. Il y a différentes échelles de partage dans les espaces communs.

C.M. L'innovation du projet se situe dans le placement de la maîtrise d'ouvrage : des particuliers se forment, font de l'auto-promotion, de l'auto-gestion de leurs projets d'habitat. Même si cela existe depuis un certain temps, c'est loin d'être systématisé. On sent qu'il y a une volonté forte de s'approprier, de décider "comment on habite", "comment on vit ensemble", quels matériaux utiliser, quels sont les meilleurs choix à faire aussi pour l'environnement. C'est alors une vision plus systémique que simplement l'acte de construire : Comment vit-on sur cette planète et quel modèle de vie soutenable souhaitons-nous défendre ou expérimenter ? Au-delà de l'aspect collectif traités par le biais des communs (circulation commune protégée, salle commune, buanderie, garage vélo et atelier), les logements sont tous adaptés au mode de vie de chaque foyer, à sa composition, à son besoin d'intimité. C'est intéressant aussi de démontrer que dans une structure assez rationnelle de collectif on arrive aussi à faire des logements très individualisés, sur mesure.

C.G. Pour compléter il y a un autre enjeu, c'est celui d'habiter le périurbain, puisque qu’il y a une pression foncière sur la ville de Rennes qui fait que l'accès au foncier est compliqué. Ici l’enjeu est aussi de démontrer à travers un projet de ZAC que l'habitat participatif en auto-promotion est possible, avec ce projet à distance cyclable de la ville de Rennes qui permet de pouvoir y vivre dans de bonnes conditions. C’est aussi renouveler l'imaginaire du périurbain comme cité dortoir. C'est un lieu de vie plus qu'un logement.

J.L. Pour nous ce projet est d'abord un projet humain. Comme la maîtrise d'usage est maître d'ouvrage, c’est elle qui définit ses besoins. C’est l'inverse du schéma classique où des habitants arrivent dans un logement qui a été pensé par d'autres. C'est innovant aussi dans le fait qu'on ait choisi de se densifier de manière consciente et volontaire pour avoir un maximum de terrain extérieur accessible pour avoir un jardin potager. Tout ça à une distance cyclable parce qu'on veut faire la part belle aux circulations douces, avec des logements qui sont compacts parce qu'on a fait le choix d'investir des espaces communs qui sont aussi pour nous des lieux de vie. Ce sont les différents aspects qui pour moi sont assez typiques et innovants du projet.

M.G. On est cinq foyers à s'être regroupés pour construire nos logements, pour un habitat participatif. On a géré la conception avec les architectes, et aujourd'hui, c'est nous qui faisons la promotion immobilière de cet ensemble. Le terrain fait un petit peu plus de 1000m². Il me semble que c'est 410m² de surface plancher répartis en cinq logements et des parties communes, donc une salle commune et une buanderie commune. Dans ces 410m², le garage à vélo et l'atelier qui sont à côté ne sont pas comptés.

P.M. Concernant les innovations, on a pensé ensemble à partager la surface du bâtiment. Il y a un foyer qui a fait le choix de partager, en plus des communs qui sont à tout le monde, un bureau, qui du coup est un petit peu plus grand, et qui est donc accessible à deux logements. Je pense que l’autopromotion, à savoir des habitants qui construisent leur logement pour eux plus tard, n'est sans doute pas quelque chose de très courant. Ce statut a été une des difficultés dans le projet. Mais c’est aussi sa richesse, parce qu’on arrive à un logement qu'on a vraiment choisi presque de A à Z.

A.T. Ce projet est exemplaire pour notre territoire, ça permet de rayonner via la communication qui peut être faite sur ce projet, de donner envie aussi à d'autres groupes d'habitants de s'investir dans ce type de projet et sur notre commune. Dans le groupe il y a une approche écologique et solidaire très forte, une attention portée à l'environnement, à l'usage des logements et des parties communes qui est assez prégnante. C’est de cette façon-là qu'on souhaite travailler avec les futurs habitants parce que dès le début il y a une appropriation des lieux, un respect de l'environnement et une ouverture au quartier et à la ville qui me paraît tout à fait intéressante, en termes de valeurs. Ça correspond bien aux valeurs que nous prônons de solidarité, d'écologie et puis d'implication citoyenne.

Comment définiriez-vous le logement de demain ?

C.M. Peut-être dans de l'usager au sein de l'acte de construire. Là c'est une expérience qui est presque extrême, où la maîtrise d'usage prend tout en charge et se forme, mais on pourrait aussi envisager des solutions plus mixtes avec une intervention du maître d'usage à certains moments clés de la conception en collaboration avec le maître d'ouvrage. Il y a plein de gens qui s'intéressent à comment vivre différemment, qui ont besoin d'espaces communs, parce qu'en ville, on ne peut pas bricoler. Dès qu'on bricole, on va gêner ses voisins, je crois que la France est un des pays qui bricole le plus, qui consomme le plus chez Casto ou chez Leroy Merlin, donc il y a vraiment cette manière de s'approprier les lieux qui est importante.

C.G. C'est ancré dans nos pratiques, dans la production de logements. Il faut renouer avec la maîtrise d'usage dans nos pratiques, ça paraît être une manière aussi de relever certains défis. Je pense que le logement normé type 1, type 2, type 3 ne correspond plus à des attentes d'habitants, y compris dans la production de masse, si on peut dire. Donc s'intéresser aux gens, aux individus, ça je pense que c'est une manière de penser le logement de demain.

J.L. Je rajouterais, sur le côté architectural, que le logement de demain, c'est peut-être aussi des choses un peu plus mixtes. On le voit dans la ZAC, ici autour, on a beaucoup de bâtiments qui sont tout béton. On commence à voir différemment, on a un bâtiment qui est mixte, parce que notre besoin a été traduit par les architectes, qui permettait d'allier le confort sonore et l'ambition écologique qu'on avait. Cela a été permis par la maîtrise d'usage/maîtrise d'ouvrage, mais aussi parce que les architectes ont traduit ces besoins-là, et ont permis cette mixité de matériaux qu'on voit encore peu. Le point que je voudrais rajouter, c'est par rapport aux espaces extérieurs. En fait, un des éléments fondateurs du projet, c'est le jardin potager. Dès le début de la conception, on a imaginé le bâtiment et le lien qu'il aurait avec le jardin potager, et inversement. On ne s'est pas dit, in fine, qu'est-ce qui reste ? Qu'est-ce qu'on fait de l’espace extérieur ? Tout de suite, on a pensé au lien entre l'extérieur et le bâtiment, parce que c'était un élément indissociable du projet dans son ensemble. Je pense que c'est plutôt atypique, on a plutôt tendance à penser au bâti, et puis le reste, on voit. Alors que nous, dès le départ, on s'est dit : comment on maximise cet extérieur ? Comment on l'imagine dans l'espace, avec le bâti ? Pour que les deux soient en lien.

C.M. Peut-être que le logement de demain, c'est aussi la question du bon matériau au bon endroit, en fonction de ses qualités, de ses performances, de ses propriétés. En tant qu'habitante de la ville de Rennes, habitante d'un nouveau logement qui est de l'intermédiaire, avec un système de coursive qui n'est pas traduit architecturalement de la même manière, mais un peu sur les mêmes principes qu'ici, je vois que le rapport aux voisins est très différent, qu’on se croise beaucoup plus même si on ne les connaît pas. Je parle tous les jours avec mes voisins, ça crée aussi une forme de sociabilité, beaucoup plus riche et intéressante que se croiser dans un couloir d'immeubles qui est complètement fermé à la lumière naturelle, et qui est le degré zéro de l’architecture.

C.G. Il y a aussi un enjeu autour de la densité, avec la raréfaction du foncier, de manière générale. Je suis persuadée que l'habitat participatif, avec ses espaces communs, permet de renouveler les formes urbaines et architecturales et d'avoir une densité qui est acceptée par les habitants, et qui est une manière de répondre aux enjeux de raréfaction des fonciers, avec une production de formes plus denses de logements.

M.G. Je dirais que c’est le logement par et pour les habitants, et un logement qui soit adapté aux enjeux climatiques de demain.

C.L. Le logement de demain, c'est sortir de l'individuel aussi, selon moi. C’est habiter plus ensemble et arrêter d'être séparés dans nos 100 mètres carrés qui sont en plus trop grands pour nous.

P.M. Il y a le lien social dans le logement et puis il y a aussi comment ces logements sont pensés, à l'échelle de la ville ou du village à la plus petite échelle, pour faire en sorte qu'il y ait des espaces de rencontres entre les habitants et entre les différents types de logements. Nous, on va se rencontrer, mais l'idée c'est aussi qu'on rencontre nos voisins.

A.T. Le logement de demain c'est nécessairement un logement qui est compact, qui est adapté aux réels usages des personnes, avec une économie de mètres carrés, une économie de l'implantation sur les terres, un logement très sobre, le moins énergivore possible, enfin le plus économe possible et un logement dans lequel les gens se sentent bien. Il y a un sujet de bien-être aussi : la qualité de l'air, la luminosité. C’est un logement qui permet de ne pas être isolé dans ses murs et d'avoir du lien avec ses voisins. Le lien social me paraît très important, d'autant plus qu'aujourd'hui la moitié des personnes vivent seules, donc c'est indispensable d'avoir ce lien avec ses voisins et avec son environnement immédiat. Donc c'est un logement à la fois économe, économique et ouvert sur le monde.

L’entretien a été réalisé le 29 mai 2024 à l’occasion du reportage photo à Le Rheu par Léo Kirchengast, de l'équipe du programme Engagés pour la qualité du logement de demain.